ARTICLE LE FIGARO du 19 mars 2025 (Marie-Laetitia Bonavita). Pascale Morinière : «La famille, plébiscitée par les Français, est la grande oubliée des décisions politiques»

ENTRETIEN – Le forum VIVA !, organisé par un collectif de 17 associations qui soutiennent les fragilités, la vie et les familles, se tiendra le 22 et 23 mars prochain au Parc floral de Paris. La présidente de la Confédération nationale des associations familiales catholiques (CNAFC) explique le sens de ce rendez-vous.

Une cinquantaine d’associations présenteront des initiatives positives en faveur de la vie quotidienne par toujours facile, des familles éprouvée, des personnes fragiles et de leur aidant. Cette rencontre, qui réunira grand public et nombreuses personnalités, est organisée par plusieurs associations dont la Confédération nationale des associations familiales catholiques (CNAFC).

Sa présidente Pascale Morinière, médecin généraliste de formation, mère de famille de trois enfants et ex-vice-présidente des Scouts unitaires de France (Suf), appelle à l’engagement des Français pour prendre soin avec générosité de ceux qui les entourent.

LE FIGARO. – Le Forum Viva ! proposera de nombreuses conférences, ateliers… Quel public vise-t-il ?

Pascale MORINIÈRE. – Les 17 présidents des associations fondatrices du forum VIVA font le constat de la montée de la solitude, des délitements sociaux et familiaux, de la perte du sens de la vie et des difficultés éducatives des parents dans un contexte d’effacement des repères.

Ces journées s’adressent aux familles – plus souvent démunies que démissionnaires – pour éduquer leurs enfants, aux couples qui aspirent à être accompagnés pour construire une relation durable et vivante ou qui souffrent d’une infertilité, aux femmes marquées par un deuil périnatal, aux 14% de Français qui sont aidants de l’un de leurs proches, aux jeunes qui peinent à trouver un sens à leur vie et à tous ceux, très nombreux, qui cherchent à créer davantage de liens et à se mettre au service des autres…Quel que soit son âge ou sa situation : lycéens, étudiants, jeunes pros, couples ou célibataires, parents, grands-parents, Viva ! propose des initiatives positives pour soutenir chacun dans sa vie quotidienne.

Quels seront les thèmes traités au cours de ces deux jours ?

Une centaine d’ateliers et de conférences se dérouleront sur les deux jours et traiteront de pratiquement toutes les étapes de la vie dans un programme à la fois très divers et très accordé aux situations concrètes. Les couples pourront trouver de nouveaux moyens pour mieux communiquer, traverser ensemble les difficultés, trouver un bon équilibre entre la vie familiale et la vie pro, gérer la place des écrans ou vivre le départ des enfants.

Plébiscitée par les Français, la famille est pourtant la grande oubliée des programmes et décisions politiquesPascale Morinière

Quelles que soient les fragilités traversées, chacun pourra repartir avec plus de souffle pour faire face aux difficultés : qu’il s’agisse d’évoquer la souffrance au travail, prévenir et guérir le burn-out, trouver la juste attitude face à la maladie psychique d’un proche ou vivre le handicap…

La question de l’accueil de la vie sera essentielle, alors que les Français ne mettent pas au monde autant d’enfants qu’ils le souhaitent, avec les thèmes de l’infertilité, de l’accueil d’une grossesse imprévue, des repères bioéthiques, de la culture du no kids, de l’impact de l’avortement, des Napro technologies – technique médicale d’aide à la procréation naturelle – ou des mille premiers jours de l’enfant.

La famille sera bien sûr au cœur de ces journées. Plébiscitée par les Français, elle est pourtant la grande oubliée des programmes et décisions politiques. Les parents seront épaulés au plan éducatif, qu’il s’agisse de protéger les enfants des violences, d’apprendre à maîtriser les écrans, de transmettre une juste éducation affective et sexuelle ou de réussir à l’école. Les familles seront aussi éclairées face au défi de l’écologie, à la recomposition familiale, à la monoparentalité ou pour s’engager au service des autres.

Enfin, le thème plus difficile de la fin de vie sera abordé, qu’il s’agisse d’organiser le maintien à domicile ou d’envisager une entrée en Ehpad. L’actualité de la fin de vie, l’annonce d’un diagnostic difficile, la prise en charge de la douleur, les soins palliatifs, la toute fin de vie d’un proche ou le deuil seront traités afin d’évoquer toutes les situations de nos vies de famille.

Parmi ces divers sujets, quels sont ceux qui, à vos yeux, sont le plus révélateurs des maux de la société ?

On constate une montée de l’indifférence et une « culture du jetable », souvent dénoncée par le pape François. Elles sont les conséquences du primat de l’individualisme. L’idéal de l’autonomie mène à toujours plus de solitude et contribue à la séparation des couples, au non-accueil de l’enfant à naître et à l’indifférence vis-à-vis des malades, des personnes handicapées, âgées ou en fin de vie. Notre société souffre de notre incapacité à être « gardiens de nos frères », comme le déclare Caïn à la suite du meurtre d’Abel. Bien sûr, nous ne tuons personne mais la « mort sociale » ravage pourtant nos sociétés postmodernes.

Ce constat devrait amener une réaction vigoureuse et déterminée de tous les hommes et femmes de bonne volonté pour promouvoir une société plus humaine, une société de la relation et de l’attention aux plus fragiles.

On constate une montée de l’indifférence et une « culture du jetable », souvent dénoncée par le pape François. Elles sont les conséquences du primat de l’individualismePascal Morinière

De nombreuses personnalités sont invitées. Comment les avez-vous choisies?

Notre grande diversité associative permet de rejoindre un large panel de témoins et de personnes talentueuses et compétentes qui ont été sollicitées et ont adhéré à ce projet positif. Nous ne cherchons pas à dénoncer ou à déplorer mais à apporter de la valeur au plus près de chacun. Cette attitude a emporté une très large adhésion et nous a permis de réunir 150 intervenants, qu’il s’agisse d’Hélène Bonhomme, fondatrice des Fabuleuses au foyer, du philosophe Rémi Brague, du psychanalyste Jean-Guilhem Xerri, longtemps engagé auprès des gens de la rue, de Blanche Streb, auteur et conférencière ou de Jean-Didier Lecaillon, économiste et professeur émérite des Universités.

Plus d’une cinquante d’associations sera présente. Le but de Viva! Le forum est-il de mettre en avant leur rôle dans la société ?

Le but de Viva ! est de faire connaître le bien qui est fait à travers ces associations pour permettre à davantage de personnes de s’y engager. Mais le principal objectif est d’apporter des services à toutes les personnes qui passeront dans le village des associations, qu’il s’agisse des conseillers conjugaux et familiaux du Cler Amour et Famille qui tiendront un point-écoute, des Fabuleuses au Foyer qui soutiendront les mères dans leur équilibre familial et professionnel, de l’Office Chrétien des personnes handicapées (OCH) qui sera à l’écoute des familles concernées par le handicap, ou du comédien Mehdi Djaadi qui donnera son dernier spectacle « Couleur framboise » qui évoque la question de l’infertilité, par exemple.

Quels messages positifs voulez-vous apporter à travers ce forum ?

Notre message essentiel est qu’il n’y a pas de fatalité du délitement social ! Il existe une générosité réelle chez les Français qui ne demande qu’un peu d’encouragements et des occasions pour s’exprimer. Nous avons commandé un sondage à l’Ifop pour préparer le forum Viva ! et nous ajuster au mieux aux attentes des Français. L’une des questions de cette enquête cherchait à évaluer si nos concitoyens seraient prêts à donner du temps chaque mois pour passer une heure avec une personne isolée. Ils ont été 76% à répondre positivement ! Avant d’appeler à la responsabilité des pouvoirs publics, reconnaissons qu’il existe une mine de dévouements inexprimés à stimuler et galvaniser pour le bien de tous. N’attendons pas que tout vienne des pouvoirs publics ! Ils ne peuvent pas tout, leurs moyens sont limités et ils n’ont pas la souplesse d’adaptation des familles ou des associations.

Ce sont les personnes qui ont la chance d’avoir des liens familiaux qui ont la grave responsabilité de prendre soin de ceux dont le tissu relationnel est fragile.

LES BONS SAMARITAINS DE LA FIN DE VIE – UN ECLAIRAGE DE LA DOCTRINE SOCIALE DE L’EGLISE SUR LA FIN DE VIE. (Article de la CNAFC du 17 mars 2025)

C’est la figure du Bon Samaritain, « médecin des âmes et des corps et “témoin fidèle” (Ap 3, 14) de la présence salvatrice de Dieu dans le monde » qu’a convoqué le Magistère dans son texte le plus récent sur « le soin des personnes en phases critiques et terminales de la vie ». Dans cette lettre de 2020, Samaritus Bonus, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi reprend tout l’enseignement du Magistère sur la question de la fin de vie. Elle entend donner des pistes pour « accompagner la personne malade dans les phases terminales de la vie, de manière à l’assister tout en respectant et en promouvant toujours sa dignité humaine inaliénable, son appel à la sainteté et, par conséquent, la valeur suprême de son existence même ». 

De nos jours, constate le texte, « la gestion organisationnelle ainsi que l’articulation et la complexité élevées des systèmes de santé contemporains peuvent réduire la relation de confiance entre le médecin et le patient à une relation purement technique et contractuelle. Un tel risque pèse lourdement sur les pays où sont adoptées des lois légitimant les formes de suicide assisté et d’euthanasie volontaire des patients les plus vulnérables. » (§3) Face à ces défis, « Les soins dits palliatifs sont l’expression la plus authentique de l’action humaine et chrétienne qui consiste à prendre soin, le symbole tangible du fait “d’être debout” par compassion auprès de ceux qui souffrent. » (§63) 

La lettre plaide pour qu’un « effort déterminé » soit fait « pour étendre ces soins à ceux qui en auront besoin, non seulement dans les phases terminales de la vie, mais aussi comme une approche intégrée des soins en relation avec toute pathologie chronique et/ou dégénérative, qui peut avoir un pronostic complexe, douloureux et funeste pour le patient et sa famille ». Elle insiste aussi sur le fait que « L’assistance spirituelle au malade et à sa famille fait partie des soins palliatifs » : « L’horizon vital d’une maladie terminale génère une profonde souffrance chez le malade, qui nécessite une attention qui ne soit pas seulement technique. Spe salvi facti sumus, c’est dans l’espérance, l’espérance théologale orientée vers Dieu, que nous avons été sauvés, dit saint Paul (Rm 8, 24). » (§67) 

Inévitablement, pour un texte qui aborde le sujet de la fin de vie, Samaritus Bonus « juge nécessaire de réaffirmer comme un enseignement définitif que l’euthanasie est un crime contre la vie humaine parce que, par un tel acte, l’homme choisit de causer directement la mort d’un autre être humain innocent. » Une conviction que l’Église a toujours défendue : déjà, en 1957, dans un discours prononcé devant des anesthésistes que le pape François a qualifié de « mémorable », le pape Pie XII avait défini cette ligne de crête de la position de l’Église, réaffirmant que l’euthanasie n’était pas licite, tout en définissant comme moralement acceptable de s’abstenir ou de suspendre l’utilisation de mesures thérapeutiques lorsque leur utilisation ne correspond pas au critère de « proportionnalité du traitement ». Il s’agit de la première allusion d’un pape à « l’acharnement thérapeutique ». 

« Choisis donc, la vie » du Deutéronome 30,19

Tout au long de son existence, l’être humain est appelé à effectuer des choix. Des choix plus ou moins importants, des choix qui auront ou non des répercussions, et qui vont ou non changer sa vie et celle de ses proches. 

Certains choix peuvent être rapidement posés : par exemple, celui d’accueillir ou non la vie ! 

Mais n’oublions jamais que toute vie est sacrée, depuis sa conception jusqu’au moment du grand passage qui nous conduit vers le Père. 

La vie n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Elle peut parfois même ressembler à un combat, comme nous le rappelle sainte Mère Teresa de Calcutta, qui a humanisé la vie de bien des personnes en train de mourir sur le trottoir. 

Puissions-nous tout mettre en œuvre pour aider les personnes à vivre jusqu’au bout de leur existence, avec le moins de souffrances possible. 

« La vie est beauté, admire-la. La vie est félicité, profites-en. La vie est un rêve, réalise-le. La vie est un défi, relève-le. La vie est un devoir, fais-le. La vie est un jeu, joue-le. La vie est précieuse, soigne-la bien. La vie est richesse, conserve-la. La vie est amour, jouis-en. La vie est un mystère, pénètre-le. La vie est une promesse, tiens-la. La vie est tristesse, dépasse-la. La vie est un hymne, chante-le. La vie est un combat, accepte-le. La vie est une tragédie, lutte avec elle. La vie est une aventure, ose-la. La vie est bonheur, mérite-le. La vie est la vie, défends-la. » Mère Teresa (1910-1997).

Père Pierre Machenaud (conseiller ecclésiastique de la CNAFC). 

Les Bons Samaritains de la fin de vie

ARTICLE CNAFC. SOINS PALLIATIFS : ACCOMPAGNER LA VIE.

Que sont vraiment les soins palliatifs ? Ne sont-ils réellement déployés qu’en toute fin de vie ? Quelle place font-ils aux familles ? La Vie des AFC donne la parole à deux spécialistes sur un sujet souvent mal connu du grand public.

Claire Fourcade, médecin en soins palliatifs à Narbonne (Aude) et présidente de la société française des soins palliatifs (SFAP) pour la cinquième année. 

Thierry Sergent, bénévole et coordinateur d’équipe en soins palliatifs à la maison médicale Notre-Dame-du-Lac et membre d’Être Là Grand Paris, association d’accompagnement des malades et personnes en fin de vie. 

Qu’est-ce qui vous a conduits, l’un et l’autre, à vous engager sur le terrain des soins palliatifs ?

Claire Fourcade Jeune étudiante, je voulais faire de la réanimation néonatale. Et puis, deux rencontres m’ont fait évoluer. Au cours d’un premier stage dans un service d’oncologie, j’ai été frappée et choquée de la façon dont les gens mouraient et du désintérêt profond des médecins pour eux. Juste après, au début des années 1990, j’ai fait un stage dans un service de maladies infectieuses, avec des patients atteints de SIDA, et j’ai vu des soignants très mobilisés dans l’accompagnement de ces patients jeunes. Il y avait un vrai travail d’équipe entre les patients et les soignants. J’ai découvert que c’était cette médecine-là qui m’intéressait, et je suis partie deux ans au Canada me former aux soins palliatifs. 

Thierry Sergent Dans mon activité professionnelle, j’avais fait de l’accompagnement de salariés et de dirigeants : quand j’ai commencé à lever le pied, je me suis dit que je pouvais mettre ces — j’espère — capacités d’écoute et de présence au service d’autres personnes, à des moments de la vie où l’on parle plus facilement « vrai ». Je me suis lancé dans ce bénévolat, animé de la conviction que l’homme est un animal communiquant. D’ailleurs, je suis stupéfait du nombre de gens qui finissent leur vie désespérément seuls. 

C.F. C’est intéressant, parce que chez nous, en milieu rural, c’est extrêmement rare. Je suis au contraire frappée de la présence des proches, des familles, qui, si on les aide, sont prêtes à s’impliquer et à bouleverser leurs agendas pour se rendre présents. Il faut dire que, chez nous, beaucoup de patients vivent encore dans la même maison ou le même village que leur famille. Mais je retrouve souvent cette différence quand je discute avec des collègues parisiens : on n’a pas du tout les mêmes problématiques, ni en termes d’accompagnement ni en termes de demandes d’euthanasie par exemple. 

Quels sont, à vos yeux, les principaux malentendus qui entourent le sujet des soins palliatifs ?

T.S. Je remarque une grande méconnaissance de ce sujet dans mon entourage, même parmi les professions médicales. On ne sait pas ce qu’on y fait, ce que ça apporte. La députée Prisca Thévenot, qui est récemment venue à la maison médicale Notre-Dame-du-Lac, avec humilité, faire un peu d’immersion dans la perspective de la loi, faisait le même constat, se demandant comment œuvrer pour une inculturation sur les soins palliatifs. 

C.F. Il faut dire qu’à part des campagnes assez ciblées sur les directives anticipées, il n’y a jamais eu de campagne gouvernementale sur la fin de vie. Pour moi, le principal malentendu, c’est l’idée que les soins palliatifs sont une médecine de la fin de vie. Or ils sont plutôt un accompagnement de la vie avec une maladie grave, ce qui est très différent. Il faudrait développer des soins palliatifs précoces qui permettent de prendre en charge des patients très tôt et de construire avec eux des parcours de soins les plus adaptés possibles à ce qu’ils souhaitent. Cela permet, tout au long de la maladie, de pouvoir décider de quel traitement on veut, ce qu’on ne veut pas, jusqu’où on veut aller, et d’être accompagné dans ces choix-là. 

Comment la décision d’entrer dans une démarche de soins palliatifs peut-elle être bien vécue ? 

C.F. Là où je travaille, nous n’avons que très peu de patients qui ont pris cette décision. Ça leur est proposé à un moment où cela paraît pertinent, mais il n’y a pas de rupture dans le parcours de soins. Nous avons monté depuis huit ans un hôpital de jour qui accueille à la fois des patients en oncologie et des patients en soins palliatifs, quelle que soit leur pathologie. L’objectif est orienté sur la qualité de vie, que ce soit pendant les traitements, les chimiothérapies, ou quand il n’y a plus de traitement. Il n’y a pas de frontière, ce qui évite cette question difficile de l’entrée en soins palliatifs, comme si on disait aux patients : « Vous qui entrez là, abandonnez toute espérance ». 

T.S. À Notre-Dame-du-Lac, c’est un peu différent : les gens arrivent par protocole et n’ont absolument plus de soins curatifs. Je remarque qu’ils n’ont pas tous la même compréhension de ce qui leur arrive, en fonction de ce qu’on leur a dit ou pas, de ce qu’ils ont entendu, de ce qu’ils veulent entendre… Notre équipe de bénévoles visite aussi des patients à domicile, qui sont à des stades de maladie très variés. Parfois, on se demande même si on n’arrive pas trop tôt, d’autant qu’en tant que bénévole, on connaît encore moins le pronostic que le médecin. 

C.F. Je trouve qu’il n’est jamais trop tôt pour prendre en charge un patient en soins palliatifs. J’entends souvent en consultation : « docteur, c’est la première fois que quelqu’un m’écoute » : c’est quand même dramatique qu’il faille arriver en fin de vie ou en consultation de soins palliatifs pour être entendu par la médecine pour la première fois ! Plus il y a d’occasions pour les patients d’être entendus plus tôt, mieux c’est, à mon avis. Les prises en charge précoces permettent un apprivoisement du questionnement. Elles sont aussi un très bon remède contre l’acharnement thérapeutique. 

Quels conseils donneriez-vous aux familles de malades ? De quelle manière associer les enfants à cette période ? 

C.F. En soins palliatifs, on travaille pour la personne en fin de vie mais aussi pour ses proches. Dans mon équipe, nous leur consacrons environ la moitié de notre temps. Quand la fin de vie s’est passée dans des conditions qui ne suscitent pas de colère, de remords ou de regrets, c’est plus facile de continuer à vivre après. Nous leur expliquons aussi ce qui se passe sur le plan médical, et comment ils peuvent être présents. 

T.S. Souvent, les familles nous remercient de les avoir aidées à apprivoiser la mort, et nous disent que ce n’était plus possible à domicile. Cela m’amène à être prudent face à cette valorisation qui est souvent faite de l’accompagnement à domicile. Une structure d’accueil peut aussi décharger la famille d’une logistique lourde et de certaines angoisses, et lui permettre d’être juste présente. 

C.F. Oui, il ne faut faire un absolu ni du domicile ni des promesses qu’on a faites. Quand des patients avaient désiré mourir chez eux, et que leurs familles le leur avaient promis, il est important de leur dire que ce qu’ils ont promis, c’est de faire du mieux possible. Parfois, c’est très difficile, et il ne faut pas se sentir ligoté par des promesses qui sont intenables. C’est parfois le rôle du soignant de le dire aux proches, et de les déculpabiliser. 

On parle beaucoup du manque de moyens en soins palliatifs : quelle en est votre expérience de terrain ? Qu’appelez-vous de vos vœux ?

C.F. La loi garantit l’accès aux soins palliatifs pour tout le monde depuis 1999, or la Cour des comptes, dans son dernier rapport (juin 2023), a montré que seulement la moitié des patients qui en ont besoin ont accès aux soins palliatifs.Donc 150 000 personnes meurent chaque année sans y avoir eu accès. Le manque est évident. Il y a un énorme déficit à la fois de connaissance et d’accès. En ce qui me concerne, notre structure a déposé un dossier pour développer la prise en charge de patients à domicile, qui est très chronophage et pour laquelle nous avons besoin de renforts, et nous ne voyons rien venir. À périmètre constant, il faudrait faire toujours plus, et si on fait plus, on fait moins bien. 

T.F. Je suis moins compétent que Claire sur le sujet, mais je remarque que Notre-Dame-du-Lac a énormément de mal à recruter et à fidéliser des soignants. Ce n’est pas simple de trouver du personnel qui a envie de faire du soin palliatif. 

C.F. Cette crise concerne l’ensemble du monde médical : il est difficile de trouver des soignants dans toutes les disciplines. Mais au-delà de cette question, faire le choix de la confrontation quotidienne à la fin de vie et à la mort, c’est extrêmement riche mais extrêmement dur et ça nécessite de prendre soin des patients, d’avoir des structures pour leur permettre de tenir et de durer. En vivant à l’ombre de la mort, les soignants ne sont pas seulement concernés, ils sont impliqués. 

L’idée de soins palliatifs peut faire peur ou être connotée négativement. Pourtant, il s’agit d’accompagner la vie. Quelles joies vous apporte votre expérience en soins palliatifs ?

T.S. Ce qui me rend heureux, c’est que je fais de vraies rencontres. Je suis impressionné du nombre de personnes qui acceptent de me parler dans ce moment particulier de leur vie. Il ne faut pas croire que nos discussions tournent nécessairement autour de la mort, de ce qui va se passer, de la vie après la mort ou de ce que les personnes ont vécu et qu’elles voudraient absolument nous livrer. Parfois, pendant vingt minutes ou une demi-heure on va parler de tout autre chose, et la personne sera heureuse d’avoir eu cet espace de respiration. Ces visites m’apportent de la paix, et j’espère aussi en apporter un peu, avec humilité. 

C.F. Il y a toujours dans une journée au moins une fois où je me dis que j’ai été utile, parce que j’ai pu rassurer ou soulager quelque chose. Sur un plan personnel, je trouve que cette période de la fin de vie ou de la vie avec une maladie grave ne laisse pas de place au superficiel. Il s’y passe des choses très importantes. Quand la vie est comptée, elle est précieuse et on va droit à l’essentiel. Pour moi, c’est une invitation permanente à ne pas attendre la fin de vie pour ordonner mes priorités. Comme soignante, c’est vraiment une aide à vivre. 

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