Que sont vraiment les soins palliatifs ? Ne sont-ils réellement déployés qu’en toute fin de vie ? Quelle place font-ils aux familles ? La Vie des AFC donne la parole à deux spécialistes sur un sujet souvent mal connu du grand public.
Claire Fourcade, médecin en soins palliatifs à Narbonne (Aude) et présidente de la société française des soins palliatifs (SFAP) pour la cinquième année.
Thierry Sergent, bénévole et coordinateur d’équipe en soins palliatifs à la maison médicale Notre-Dame-du-Lac et membre d’Être Là Grand Paris, association d’accompagnement des malades et personnes en fin de vie.
Qu’est-ce qui vous a conduits, l’un et l’autre, à vous engager sur le terrain des soins palliatifs ?
Claire Fourcade Jeune étudiante, je voulais faire de la réanimation néonatale. Et puis, deux rencontres m’ont fait évoluer. Au cours d’un premier stage dans un service d’oncologie, j’ai été frappée et choquée de la façon dont les gens mouraient et du désintérêt profond des médecins pour eux. Juste après, au début des années 1990, j’ai fait un stage dans un service de maladies infectieuses, avec des patients atteints de SIDA, et j’ai vu des soignants très mobilisés dans l’accompagnement de ces patients jeunes. Il y avait un vrai travail d’équipe entre les patients et les soignants. J’ai découvert que c’était cette médecine-là qui m’intéressait, et je suis partie deux ans au Canada me former aux soins palliatifs.
Thierry Sergent Dans mon activité professionnelle, j’avais fait de l’accompagnement de salariés et de dirigeants : quand j’ai commencé à lever le pied, je me suis dit que je pouvais mettre ces — j’espère — capacités d’écoute et de présence au service d’autres personnes, à des moments de la vie où l’on parle plus facilement « vrai ». Je me suis lancé dans ce bénévolat, animé de la conviction que l’homme est un animal communiquant. D’ailleurs, je suis stupéfait du nombre de gens qui finissent leur vie désespérément seuls.
C.F. C’est intéressant, parce que chez nous, en milieu rural, c’est extrêmement rare. Je suis au contraire frappée de la présence des proches, des familles, qui, si on les aide, sont prêtes à s’impliquer et à bouleverser leurs agendas pour se rendre présents. Il faut dire que, chez nous, beaucoup de patients vivent encore dans la même maison ou le même village que leur famille. Mais je retrouve souvent cette différence quand je discute avec des collègues parisiens : on n’a pas du tout les mêmes problématiques, ni en termes d’accompagnement ni en termes de demandes d’euthanasie par exemple.
Quels sont, à vos yeux, les principaux malentendus qui entourent le sujet des soins palliatifs ?
T.S. Je remarque une grande méconnaissance de ce sujet dans mon entourage, même parmi les professions médicales. On ne sait pas ce qu’on y fait, ce que ça apporte. La députée Prisca Thévenot, qui est récemment venue à la maison médicale Notre-Dame-du-Lac, avec humilité, faire un peu d’immersion dans la perspective de la loi, faisait le même constat, se demandant comment œuvrer pour une inculturation sur les soins palliatifs.
C.F. Il faut dire qu’à part des campagnes assez ciblées sur les directives anticipées, il n’y a jamais eu de campagne gouvernementale sur la fin de vie. Pour moi, le principal malentendu, c’est l’idée que les soins palliatifs sont une médecine de la fin de vie. Or ils sont plutôt un accompagnement de la vie avec une maladie grave, ce qui est très différent. Il faudrait développer des soins palliatifs précoces qui permettent de prendre en charge des patients très tôt et de construire avec eux des parcours de soins les plus adaptés possibles à ce qu’ils souhaitent. Cela permet, tout au long de la maladie, de pouvoir décider de quel traitement on veut, ce qu’on ne veut pas, jusqu’où on veut aller, et d’être accompagné dans ces choix-là.
Comment la décision d’entrer dans une démarche de soins palliatifs peut-elle être bien vécue ?
C.F. Là où je travaille, nous n’avons que très peu de patients qui ont pris cette décision. Ça leur est proposé à un moment où cela paraît pertinent, mais il n’y a pas de rupture dans le parcours de soins. Nous avons monté depuis huit ans un hôpital de jour qui accueille à la fois des patients en oncologie et des patients en soins palliatifs, quelle que soit leur pathologie. L’objectif est orienté sur la qualité de vie, que ce soit pendant les traitements, les chimiothérapies, ou quand il n’y a plus de traitement. Il n’y a pas de frontière, ce qui évite cette question difficile de l’entrée en soins palliatifs, comme si on disait aux patients : « Vous qui entrez là, abandonnez toute espérance ».
T.S. À Notre-Dame-du-Lac, c’est un peu différent : les gens arrivent par protocole et n’ont absolument plus de soins curatifs. Je remarque qu’ils n’ont pas tous la même compréhension de ce qui leur arrive, en fonction de ce qu’on leur a dit ou pas, de ce qu’ils ont entendu, de ce qu’ils veulent entendre… Notre équipe de bénévoles visite aussi des patients à domicile, qui sont à des stades de maladie très variés. Parfois, on se demande même si on n’arrive pas trop tôt, d’autant qu’en tant que bénévole, on connaît encore moins le pronostic que le médecin.
C.F. Je trouve qu’il n’est jamais trop tôt pour prendre en charge un patient en soins palliatifs. J’entends souvent en consultation : « docteur, c’est la première fois que quelqu’un m’écoute » : c’est quand même dramatique qu’il faille arriver en fin de vie ou en consultation de soins palliatifs pour être entendu par la médecine pour la première fois ! Plus il y a d’occasions pour les patients d’être entendus plus tôt, mieux c’est, à mon avis. Les prises en charge précoces permettent un apprivoisement du questionnement. Elles sont aussi un très bon remède contre l’acharnement thérapeutique.
Quels conseils donneriez-vous aux familles de malades ? De quelle manière associer les enfants à cette période ?
C.F. En soins palliatifs, on travaille pour la personne en fin de vie mais aussi pour ses proches. Dans mon équipe, nous leur consacrons environ la moitié de notre temps. Quand la fin de vie s’est passée dans des conditions qui ne suscitent pas de colère, de remords ou de regrets, c’est plus facile de continuer à vivre après. Nous leur expliquons aussi ce qui se passe sur le plan médical, et comment ils peuvent être présents.
T.S. Souvent, les familles nous remercient de les avoir aidées à apprivoiser la mort, et nous disent que ce n’était plus possible à domicile. Cela m’amène à être prudent face à cette valorisation qui est souvent faite de l’accompagnement à domicile. Une structure d’accueil peut aussi décharger la famille d’une logistique lourde et de certaines angoisses, et lui permettre d’être juste présente.
C.F. Oui, il ne faut faire un absolu ni du domicile ni des promesses qu’on a faites. Quand des patients avaient désiré mourir chez eux, et que leurs familles le leur avaient promis, il est important de leur dire que ce qu’ils ont promis, c’est de faire du mieux possible. Parfois, c’est très difficile, et il ne faut pas se sentir ligoté par des promesses qui sont intenables. C’est parfois le rôle du soignant de le dire aux proches, et de les déculpabiliser.
On parle beaucoup du manque de moyens en soins palliatifs : quelle en est votre expérience de terrain ? Qu’appelez-vous de vos vœux ?
C.F. La loi garantit l’accès aux soins palliatifs pour tout le monde depuis 1999, or la Cour des comptes, dans son dernier rapport (juin 2023), a montré que seulement la moitié des patients qui en ont besoin ont accès aux soins palliatifs.Donc 150 000 personnes meurent chaque année sans y avoir eu accès. Le manque est évident. Il y a un énorme déficit à la fois de connaissance et d’accès. En ce qui me concerne, notre structure a déposé un dossier pour développer la prise en charge de patients à domicile, qui est très chronophage et pour laquelle nous avons besoin de renforts, et nous ne voyons rien venir. À périmètre constant, il faudrait faire toujours plus, et si on fait plus, on fait moins bien.
T.F. Je suis moins compétent que Claire sur le sujet, mais je remarque que Notre-Dame-du-Lac a énormément de mal à recruter et à fidéliser des soignants. Ce n’est pas simple de trouver du personnel qui a envie de faire du soin palliatif.
C.F. Cette crise concerne l’ensemble du monde médical : il est difficile de trouver des soignants dans toutes les disciplines. Mais au-delà de cette question, faire le choix de la confrontation quotidienne à la fin de vie et à la mort, c’est extrêmement riche mais extrêmement dur et ça nécessite de prendre soin des patients, d’avoir des structures pour leur permettre de tenir et de durer. En vivant à l’ombre de la mort, les soignants ne sont pas seulement concernés, ils sont impliqués.
L’idée de soins palliatifs peut faire peur ou être connotée négativement. Pourtant, il s’agit d’accompagner la vie. Quelles joies vous apporte votre expérience en soins palliatifs ?
T.S. Ce qui me rend heureux, c’est que je fais de vraies rencontres. Je suis impressionné du nombre de personnes qui acceptent de me parler dans ce moment particulier de leur vie. Il ne faut pas croire que nos discussions tournent nécessairement autour de la mort, de ce qui va se passer, de la vie après la mort ou de ce que les personnes ont vécu et qu’elles voudraient absolument nous livrer. Parfois, pendant vingt minutes ou une demi-heure on va parler de tout autre chose, et la personne sera heureuse d’avoir eu cet espace de respiration. Ces visites m’apportent de la paix, et j’espère aussi en apporter un peu, avec humilité.
C.F. Il y a toujours dans une journée au moins une fois où je me dis que j’ai été utile, parce que j’ai pu rassurer ou soulager quelque chose. Sur un plan personnel, je trouve que cette période de la fin de vie ou de la vie avec une maladie grave ne laisse pas de place au superficiel. Il s’y passe des choses très importantes. Quand la vie est comptée, elle est précieuse et on va droit à l’essentiel. Pour moi, c’est une invitation permanente à ne pas attendre la fin de vie pour ordonner mes priorités. Comme soignante, c’est vraiment une aide à vivre.
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