Déclaration de Casablanca pour l’abolition universelle de la GPA : « Aux États maintenant de prendre leurs responsabilités ! »

Ce vendredi 3 mars, à Casablanca, s’est tenue une convention réunissant des experts de 75 pays pour l’adoption d’une Déclaration internationale pour l’abolition universelle de la GPA (gestation pour autrui). Explications et décryptage avec Aude Mirkovic, juriste, porte-parole du mouvement français de l’association des Juristes pour l’enfance signataire de la Déclaration

Sabine de Villeroché. Pourquoi donner une dimension internationale à un projet d’abolition de la GPA ?

Aude Mirkovic. Parce que la dimension internationale de la GPA exige une réponse internationale. Les pays où la GPA se pratique ne sont pas très nombreux, mais des sociétés marchandes de GPA rabattent des clients du monde entier vers les territoires où elles sont implantées et suscitent ainsi un marché à l’échelle internationale.

Les législations nationales qui interdisent la pratique sont fragilisées par ce tourisme procréatif. Beaucoup d’États n’ont pas de législation sur le sujet, et ceux qui en ont comme la France sont parfois tétanisés, une fois mis devant le fait accompli d’une GPA réalisée ailleurs. Le groupe d’experts réunis à Casablanca a mis à la disposition des États une proposition de Convention internationale dans laquelle les États sont invités à s’engager : à condamner d’abord la GPA dans son principe, quelles que soient ses modalités, qu’elle soit rémunérée ou non, et à prendre ensuite des mesures concrètes pour mettre fin à ce business, en priorité en sanctionnant les intermédiaires, ces sociétés qui sont les acteurs majeurs de ce marché. Sans l’aide de ces sociétés de GPA, très peu de gens prendraient le risque d’aller chercher une mère porteuse en Ukraine ou au Nigeria.

En outre, nous ne négligeons pas le rôle pédagogique d’une Convention internationale, qui promeut un contexte global de réprobation de la GPA, susceptible d’entraîner des États dans ce sillage vertueux.

S. d. V. Quels ont été les résultats des travaux de cette convention ?

A. M. À ce stade, il s’agit d’un travail d’experts, : un travail doctrinal assez classique, comme il en existe dans de nombreux domaines : des sociétés savantes, des ONG ou tout simplement des groupes d’experts peuvent ainsi proposer pour le commerce international des contrats-types, des propositions de conditions générales de vente, des propositions de conventions internationales, qui peuvent ensuite être repris.

Le sommet d’experts qui s’est tenu à Casablanca a rendu publique une Déclaration qui demande aux États de s’engager dans une Convention internationale pour l’abolition universelle de la GPA : nous avons fait notre travail d’experts, si je puis dire ; aux États, maintenant, de prendre leurs responsabilités politiques pour protéger l’humanité de ce fléau de la GPA. Cet événement de Casablanca envoie un message clair : un engagement international des États est nécessaire, et il est possible d’abolir la GPA. Et l’engagement public d’experts de tellement de nationalités différentes a pour but de lancer cette phase politique qui doit suivre.

S. d. V. Pourquoi des experts français partie prenante, puisqu’en France, la GPA est interdite ?

A. M. En France, le contrat de GPA est en effet illicite et n’a pas d’existence juridique. En outre, la France sanctionne pénalement les intermédiaires entre les mères porteuses et les clients. Or, que constatons-nous ? Que des sociétés étrangères de GPA, américaines, ukrainiennes, canadiennes, démarchent en toute impunité le marché français et vendent des GPA aux Français sur notre territoire. On l’a constaté de façon particulièrement visible au salon Désir d’enfant, mais partout en France, ces sociétés organisent des tournées de promotion commerciale, avec des rencontres pour présenter leurs offres de GPA et les vendre aux Français. Il y a eu déjà plusieurs plaintes, déposées notamment par Juristes pour l’enfance, et à ce jour, aucune poursuite. Alors même que le président de la République affirme que la GPA est la ligne rouge, la France laisse ces marchands de l’humain vendre en toute tranquillité et impunité leurs services. Il manque en France la volonté politique, et un engagement dans une Convention internationale serait un engagement politique autant que juridique essentiel pour passer de la complicité, résignation, indifférence à la protection efficace et déterminée de la dignité humaine contre la marchandisation.

S. d. V. Pourquoi avoir choisi précisément la ville de Casablanca pour réunir ces experts ?

A. M. Il est clair que ce sommet d’experts aurait pu se tenir à beaucoup d’autres endroits ! Le choix de Casablanca s’est pourtant imposé très vite : d’abord, la législation du Maroc est exemplaire puisque la loi interdit explicitement la GPA et sanctionne pénalement le recours à cette pratique. Ensuite, le Maroc est un pays qui jouit d’une grande stabilité politique, que les étrangers peuvent visiter en toute sécurité, un pays d’histoire et de culture… Et, pour finir, la ville de Casablanca est connue dans le monde entier, c’est un terme facile à prononcer dans toutes les langues et tout à fait indiqué pour donner son nom à une déclaration : c’est ainsi que le texte présenté le 3 mars est déjà devenu la Déclaration de Casablanca pour l’abolition universelle de la GPA.

S. d. V. Quelle est la prochaine étape ?

A. M. Le 3 mars était une réunion d’experts. La prochaine étape est d’avoir la même chose avec des représentants des États, une sorte de COP de la GPA. Nous souhaitons faire connaître la Déclaration de Casablanca et la proposition de Convention internationale qu’elle comporte au sein des instances internationales, à commencer par l’ONU : le sommet du 3 mars a été ouvert par deux membres du Comité des droits de l’enfant de l’ONU, qui ont fait part de leur intérêt pour nos travaux et du fait que le Comité des droits de l’enfant est concerné par cette question des conséquences de la GPA pour les enfants. Nous voulons, bien sûr, aller plus loin, et tout le monde peut contribuer : le groupe d’experts a fait le choix que la Déclaration de Casablanca ne soit rattachée à aucune ONG, aucune structure, afin que ce ne soit pas la Déclaration de untel ou de tel autre mais la Déclaration de tous : si un gouvernement, une ONG, une organisation veut s’approprier ce projet, il n’y a pas d’autorisation à demander, il est libre de droits et à la disposition de tous ceux qui veulent soutenir cette démarche internationale jusqu’à l’abolition universelle de la GPA.

Sabine de Villeroché

Journaliste à BV, ancienne avocate au barreau de Paris

La fin de vie : ce qu’en dit la Doctrine sociale de l’Église

Alors que le pape François a récemment abordé par deux fois le thème de la vieillesse, revenons sur ce que dit le magistère.

Le magistère de la fragilité

En déconsidérant la vieillesse, notre société manque de charité à l’égard des personnes âgées, mais elle se coupe surtout d’une ressource vitale.

Le pape François a récemment abordé par deux fois le thème de la vieillesse, lors de la prière de l’Angélus place Saint-Pierre. Cet âge où « le souvenir des labeurs surmontés et des bienfaits reçus est mis à l’épreuve de la foi et de l’espérance », déclare-t-il (1er juin 2022) en commentant le psaume 70 : « Ne m’abandonne pas alors que décline ma vigueur ». Le pape n’a pas de mots assez forts pour condamner la « lâcheté dans laquelle notre société est en train de se spécialiser » : « Dans cette société du déchet, les personnes âgées sont mises à l’écart et souffrent. » Abusées par des profiteurs, les personnes vieillissantes sont aussi parfois abandonnées par leurs familles, blâme François : « Les personnes âgées sont mises à l’écart, abandonnées dans les maisons de retraite, sans que leurs enfants leur rendent visite, ou s’ils y vont, ils y vont si peu de fois par an. Les personnes âgées se retrouvent mises au coin de l’existence. » Ainsi, continue le pape octogénaire, « nous sommes tous tentés de cacher notre vulnérabilité, de dissimuler notre maladie, notre âge, et notre vieillesse, puisque nous craignons que ce soit l’antichambre de notre perte de dignité. »

Pourtant, comme le psalmiste, « les personnes âgées, en raison de leur faiblesse, peuvent enseigner à ceux qui sont à d’autres âges de la vie que tous nous avons besoin de nous abandonner au Seigneur, d’invoquer son aide. En ce sens, nous devons tous apprendre de la vieillesse. […] Il existe donc un “magistère de la fragilité” [qui] ouvre un horizon décisif pour la réforme de notre propre civilisation. » Les personnes âgées sont une ressource pour la société toute entière, comme l’affirme le Compendium de la Doctrine sociale de l’Église (§222) : « Elles peuvent non seulement témoigner qu’il y a des secteurs de la vie, comme les valeurs humaines et culturelles, morales et sociales, qui ne se mesurent pas en termes économiques et de profit, mais elles peuvent aussi offrir un apport concret dans le domaine du travail et de la responsabilité. […] Comme le dit l’Écriture sainte, les personnes “dans la vieillesse portent encore du
fruit” ».

Commentant justement ce passage de l’Écriture sainte (psaume 92) lors de l’Angélus du 24 juillet, le pape François a appelé les personnes âgées à dépasser leurs craintes : « La vieillesse est une saison difficile à comprendre, même pour nous qui la vivons déjà. […] Nous devons veiller sur nous-mêmes et apprendre à mener une vieillesse active, même du point de vue spirituel, en cultivant notre vie intérieure à travers la lecture assidue de la Parole de Dieu, la prière quotidienne, l’usage des sacrements et la participation à la liturgie », leur a enjoint le pape. Devant la dureté des temps, « nous avons besoin d’un changement profond, d’une conversion qui démilitarise les cœurs en permettant à chacun de reconnaître en l’autre- un frère. Et nous, grands-parents et personnes âgées, avons une grande responsabilité : enseigner aux femmes et aux hommes de notre temps à voir les autres avec le même regard compréhensif et tendre que nous portons sur nos petits-enfants. Nous avons affiné notre humanité en prenant soin des autres et, aujourd’hui, nous pouvons être des maîtres d’une manière de vivre pacifique et attentive aux plus faibles. »

Billet spirituel

Tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix

Récemment, un médecin exerçant au sein d’une unité de soins palliatifs recevait une jeune femme lourdement malade venant lui demander de l’aider à mourir. Le médecin l’écouta longuement. Au terme de l’entretien, elle demanda : « Au fait, docteur, pourrez-vous aussi penser à me vacciner contre le Covid ? » Le temps d’un entretien poignant, lourd, mais plein d’attention, de délicatesse et de respect, l’envie d’en finir avait laissé place au désir de vivre.

Mais il n’en est pas toujours ainsi dans les familles pour les parents âgés en fin de vie, quand le sentiment d’inutilité occupe toute leur conscience et que la vie a perdu toute saveur. Pour les proches, recevoir ces paroles de désespoir est un choc, cause de questionnements, d’inquiétudes et de souffrance. L’accompagnement dans la durée est lourd. La tentation de céder au désespoir du parent souffrant peut être très forte. La tentation d’abréger ses souffrances en écourtant sa vie peut apparaître.

« C’est Toi qui donnes la vie » dit la prière eucharistique n° 3. C’est  également le seigneur qui la reprend, comme il veut, quand il veut. dans ces moments de grande humanité, qu’il est bon de ne pas porter seul cet accompagnement et d’être habité intérieurement par la foi confiante du vieillard Siméon, illuminée par la rencontre avec le christ. Être là, ensemble, en prière ou silencieux, main dans la main, c’est se préparer à ce dessaisissement qui approche, pour que le grand passage se vive dans la paix, pour celui qui part comme pour ceux qui poursuivront l’aventure de la vie.

Pierre Deprecq, aumonier de la fédération des AFC de Bordeaux