Lettre ouverte de Mgr d’Ornellas à Edouard Philippe sur la loi de bioéthique

Lettre ouverte de Mgr Pierre d’Ornellas à Édouard Philippe sur la loi de bioéthique
Le 24 janvier, dans un entretien exclusif accordé au journal La Croix et essentiellement consacré à la réforme des retraites, le Premier ministre avait répondu à une question sur le projet de révision des lois de bioéthique actuellement examiné au Sénat après avoir été adopté le 15 octobre en première lecture par l’Assemblée nationale. Par une lettre ouverte au ton ferme, Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes et responsable du groupe de bioéthique de la Conférence des évêques de France (CEF), a interpelé le Premier ministre dans une lettre ouverte publiée par La Croix le 27 janvier.
Monsieur le Premier ministre,
Votre responsabilité gouvernementale est grande. Le débat démocratique est vital pour vous aider à l’assumer. Il est un « dialogue » grâce auquel nous cherchons ensemble le bien de tous. Or, vos propos sur la bioéthique dans votre interview du 24 janvier à La Croix laissent dubitatif.
Suffit-il à un premier ministre de constater que «le débat a été de grande qualité» et que «l’attitude des Français qui s’opposent» est «pacifique» ? Une personnalité de l’État a affirmé que «la loi de bioéthique porte une rupture anthropologique majeure». Douze hauts fonctionnaires et universitaires ont écrit que ce projet de loi «touche aux structures de notre société». Sur des sujets aussi sensibles qui ébranlent des repères majeurs pour la vie des êtres humains en société, le discours de la méthode n’est pas suffisant. D’autres personnalités – et non des moindres, croyantes et incroyantes – ont exprimé leur opposition à bien des points de ce projet de loi. Suffit-il de les cataloguer dans le registre des opposants – par bonheur pacifiques – pour conclure le débat ?
Les arguments de la raison éthique, et pas seulement ceux d’études sociologiques parfois contestables, ne sont-ils pas à considérer en priorité pour que la loi reste indicatrice et gardienne du «bien commun» ? À cet égard, comment la loi gardera-t-elle sa mission de protéger l’être humain, en particulier le plus faible, et favorisera-t-elle la société inclusive que vous appelez de vos vœux, si le projet de loi ne barre pas nettement la route à ce qui vous inquiète légitimement : l’eugénisme libéral, fruit d’un individualisme et d’une peur exacerbés par le pouvoir exercé sans discernement du dépistage génétique.
Dans votre interview, vous affirmez que le projet de loi de réforme des retraites «a pour but de refonder le système pour qu’il soit beaucoup plus juste». Vous souhaitez ainsi maintenir «la solidité du pacte social». Pourquoi ne pas l’affirmer à propos de la loi de bioéthique ? Est-il juste que la loi interdise de fait à des enfants d’avoir une ascendance paternelle, et décrète qu’il n’y a plus de distinction entre une femme qui, sans avoir accouché, peut être reconnue comme mère, et la femme qui a accouché de son enfant ? Si le droit supprime la signification spécifique de la gestation, comment interdire fermement la gestation pour autrui (GPA), ce que pourtant vous voulez ? Et puis, est-il juste que la loi supprime la différence réelle établie par le critère thérapeutique pour autoriser aussi bien l’accès à l’AMP que la manipulation du cerveau humain ? Comment dans ces conditions maintenir le pacte social ? Quels critères de justice adopter pour que la médecine soigne en priorité et le mieux possible nos frères et sœurs en humanité qui sont effectivement malades ?
La «fraternité» à laquelle sont attachés les Français n’est-elle pas endommagée en voulant établir un égalitarisme qui n’ose pas nommer les différences, celles qui ne sont pas sources de discrimination ? Car la «fraternité» exige que soit reconnue la même dignité avec les mêmes «droits fondamentaux» chez tous les êtres humains, sans distinction générationnelle. Cette «fraternité» est-elle respectée quand le «projet parental» impose, avec la garantie du droit, un nouveau «droit de puissance» sur l’enfant en le privant d’ascendance paternelle ? Est-ce conforme à sa «dignité» ? Le principe de «dignité» qui, vous le savez, caractérise le modèle français de bioéthique, exige la reconnaissance juridique de l’unité de la personne dans ses dimensions biologique, psychique et spirituelle. Le pacte social et la justice trouvent leur force apaisante dans le respect de cette «dignité» d’où découle la mise en œuvre de la «fraternité».
Voilà la grandeur de l’éthique qui assure l’authentique progrès : savoir réguler et promouvoir l’usage des techniques biomédicales de telle sorte que la «fraternité» soit mieux assurée. C’est là, Monsieur le Premier ministre, ce qui la garantit sur le long terme. Or, ce long terme sera vite brisé par ce projet de loi. S’il est voté et promulgué, il fragilisera un peu plus notre «fraternité» car il augure de l’ouverture de la GPA que rien n’empêchera : au nom de quoi refuser le mode de conception et de filiation souhaité par ce qui apparaît comme un autre «projet parental» ?
Monsieur le Premier ministre, vous en conviendrez, comment ne pas souhaiter un «supplément d’âme» quand les techniques rendent possible l’invraisemblable ! Il semble urgent de relier le pacte social et solidaire qui établit de justes liens les uns avec les autres en vue de nos retraites, au pacte social et solidaire qui impose de ne pas manipuler à volonté les liens fondamentaux qui nous permettent de naître et d’être éduqués.
Mgr Pierre d’Ornellas

PMA, un (bel) arbre qui cache la forêt…

PMA, un (bel) arbre qui cache la forêt…

Par  Philippe Meirieu, professeur émérite en sciences de l’éducation à l’université Lumière-Lyon II et Hélène Le Gardeur , formatrice en bioéthique                   

19 janvier 2020 à 18:06

https://www.liberation.fr/debats/2020/01/19/pma-un-bel-arbre-qui-cache-la-foret_1773950?fbclid=IwAR1SaJVNjkwXBLr32ug47KjDNxFFdTktxcEKEM_-hq8NNhbj-GBAGsOVBpY

S’il fallait légiférer sur la PMA, la loi de bioéthique en lecture au Sénat est bien loin de se limiter à cette question. Elle rend aussi possible de dangereuses manipulations génétiques.

Tribune. L’ouverture de la procréation médicalement assistée à toutes les femmes qui forment le projet d’avoir et d’élever un enfant représente, sans nul doute, une avancée importante vers plus d’égalité et de justice. Certes, aucune loi ne permettra jamais, une bonne fois pour toutes, de dépasser la tension constitutive de toute filiation entre «le droit à l’enfant» et «les droits de l’enfant» : le premier est aussi légitime que le sont les seconds, et c’est à chacune et à chacun, en accompagnant la venue au monde d’un petit humain, de tenter une conciliation pour laquelle aucun modèle social de la famille ne peut prétendre, aujourd’hui, représenter la norme universelle. C’est, en effet, une des conséquences de l’effondrement de tous les moralismes dogmatiques ainsi que de l’explosion des possibilités offertes par la science que de confier à notre responsabilité, et à elle seule, la décision de mettre un enfant au monde et de créer les conditions de son développement. Et cela, quelle que soit la configuration familiale : un couple hétérosexuel se trouve ici face à la même exigence qu’un couple homosexuel ou une femme seule : se voir prolongé par une naissance – aspiration humaine par excellence – n’exonère personne d’une réflexion sur les conditions d’une éducation qui permette à celui ou à celle qui arrive de prendre sereinement sa place dans le monde.

Il fallait donc légiférer sur la PMA et nous nous réjouissons que cela soit en bonne voie. Mais la loi dite de «bioéthique», actuellement en débat entre l’Assemblée nationale et le Sénat, est bien loin de se limiter à cette question : sur les 34 articles qu’elle comporte, 30 portent sur d’autres questions sur lesquelles le débat public a été largement escamoté.

Qui sait que cette loi, dans son article 14 (25-26), autorise l’implantation d’embryons humains dans un animal à des fins de gestation ?

Qui a compris toutes les conséquences de la suppression de l’actuel article 17 du code de la santé publique («la création d’embryons transgéniques ou chimériques est interdite») et de son remplacement par un nouvel article qui autorise, de fait, la création d’embryons humains génétiquement modifiés avec la technique dite des «ciseaux ADN» ?

Qui a vu l’impact de la possibilité (ouverte par l’amendement posé par le Sénat sur l’article 2) donnée à des structures à but lucratif de conserver et de commercialiser des gamètes, des ovocytes et des embryons ?

Ce qui est en train de se décider sous nos yeux change radicalement le rapport anthropologique de l’humain à la procréation. Même si la loi réserve pour le moment – mais pour combien de temps ? – cette possibilité à la recherche, il s’agit bien de pouvoir enlever tel ou tel gène ou d’en remplacer un par un autre pour modifier des embryons humains : rien d’autre que la possibilité de «fabriquer» des enfants en manipulant les données génétiques selon notre bon vouloir.

Il n’est plus seulement question de permettre aux femmes de choisir le moment de leur grossesse, il sera possible, dès maintenant et grâce à la congélation d’ovocytes (autorisée à l’article 2), d’améliorer la «performance» des femmes au travail et d’ouvrir la porte à leurs employeurs pour qu’ils décident à leur place de leur maternité. Il n’est plus seulement question de conserver dans des banques de sperme publiques les moyens offerts aux femmes et aux couples infertiles de procréer, il s’agit d’organiser un véritable marché des spermatozoïdes où les officines privées feront sans doute miroiter, moyennant finance, des enfants de meilleure qualité.

Comment ne pas voir qu’il s’agit là, tout simplement, de la marchandisation du vivant ? Comment ne pas déceler, dans les interlignes d’une loi qui s’avance masquée sous le vœu légitime de «la PMA pour toutes», la vieille songerie du docteur Frankenstein ? Comment ne pas s’inquiéter des risques d’eugénisme que font courir les techniques légitimées par cette loi : à quand l’élimination systématique des embryons qui ne correspondraient pas exactement à nos vœux ? Et comment ne pas imaginer que nous ouvrons la porte, grâce au recueil systématique des données génétiques (auquel la loi fait référence à de nombreuses reprises), à la mise en place de fichiers dont l’usage par un pouvoir politique ou par des «industries de l’humain» pourrait s’avérer terrifiant ?

Enfin, pourquoi une loi censée ouvrir des possibilités nouvelles aux femmes qui veulent des enfants a-t-elle été proposée aux parlementaires sans que soit évoquée, dans un premier temps, la recherche sur les causes de l’infertilité ainsi que sur les moyens de la prévenir ? Pourquoi ne dit-elle rien sur la manière de faciliter l’adoption qui reste encore trop souvent un épuisant parcours du combattant ?

Décidément, cette loi dite de «bioéthique» n’est «ni faite ni à faire». Le débat sur la bioéthique a été confisqué. Les entreprises et laboratoires de biotechnologie y trouveront leur compte. Mais, sans un sursaut de démocratie, c’est l’humain même, dans sa précieuse spécificité, qui est menacé.

Emmanuel Macron à Pascale Morinière : « …Votre problème, c’est que vous croyez qu’un père est forcément un mâle… »

Charlotte d’Ornellas raconte dans Valeurs Actuelles :

Invitée à l’Elysée pour fêter les trente ans de la ratification de la Convention des droits de l’enfants, la présidente des Associations familiales catholiques (AFC) a pu discuter avec Emmanuel Macron de la « PMA pour toutes ». Une discussion surréaliste. Pascale Morinière, présidente des Associations familiales catholiques (AFC), avait décidé de « tenter sa chance » pour parler au chef de l’Etat de son opposition au projet de loi de bioéthique actuellement discuté par le Sénat, en appuyant son propos sur… la convention des droits de l’enfant justement !

« Nous avons souvent brandi l’article 7 de cette convention qui stipule qu’un enfant a le droit, dans la mesure du possible, de connaître ses parents et d’être élevé par eux. Il est absurde de fêter la ratification de cette convention tout en acceptant la PMA sans père ».

Pascale Morinière a commencé par discuter avec Brigitte Macron qui a botté en touche.

C’est ensuite Emmanuel Macron lui-même que la présidente des AFC a croisé. Elle avait apporté un livre pour lui, dans lequel elle avait glissé une lettre dont elle a pu exposer le contenu de vive-voix au président de la République : sa demande de retrait du projet de loi de bioéthique, au nom du droit de l’enfant.

Paternité, rédigé par Fabrice Hadjadj, illustré par François-Xavier de Boissoudy, et édité par De Corvelour.

Après l’avoir feuilleté, Emmanuel Macron a demandé à ce qu’on le mette sur son bureau. S’en est suivi une conversation étonnante, en présence du secrétaire d’Etat chargé de la protection de l’enfance Aurélien Taquet et du sénateur LREM Martin Lévrier, qui a récemment voté contre la PMA.

Le président de la République a répondu que la paternité se divise en deux fonctions : l’une génétique et l’autre symbolique. Pour la partie génétique, les enfants auront la possibilité de connaître leur géniteur. « Nous veillerons à ce que ça revienne à l’Assemblée ». Et pour la partie symbolique ? « Il n’y a pas de problème ». « Je comprends. Votre problème, c’est que vous croyez qu’un père est forcément un mâle. Tous les psychanalystes vous diront le contraire. »

Pascale Morinière explique que l’article 1 de la loi bioéthique – le plus emblématique – cache en fait la logique générale du projet de loi qui vise à organiser une procréation marchande et technique

https://www.youtube.com/watch?v=CW2HSugmFJQ&feature=youtu.be

Après le vote, la semaine dernière, par le Sénat de l’article 1 de la loi de bioéthique, ouvrant le droit à la PMA pour toutes les femmes, Pascale Morinière, présidente de la Confédération nationale des associations familiales catholiques (CNAFC), explique que cet article – le plus emblématique – cache en fait la logique générale du projet de loi : une logique qui vise à organiser une procréation marchande et technique.